Erika Faccini & Aurore Brun

Erika Faccini:
Amener la danse dans les écoles, par le biais des ateliers danse m’a permis de me rapprocher au monde de l’enfance et de développer une empathie qui était en moi mais qui attendait d’être déployée. Je sens une belle connexion avec les enfants. Elle s’est établie depuis mes premiers ateliers en 2012. Le mouvement, la danse, m’ont aidé à rentrer facilement en communication avec les petits. Corps, énergie, regard, bienveillance, disponibilité et plaisir m’ont donné l’envie de savourer de plus en plus ce partage et ce dialogue non verbal entre l’artiste et les enfants. Ma formation à l’école secondaire, en Italie, était pour devenir enseignante de primaire. Après, j’ai développé mes études artistiques comme danseuse, mais l’envie de me rapprocher à l’enfance était toujours là, depuis mon adolescence. J’associe l’enfance à une grenade: elle est apparemment simple et lisse à l’extérieur aux yeux des adultes, mais à l’intérieur elle est pleine de petites maisonnettes pour faire pousser des petits grains. Chaque grain fait partie du vécu de l’enfant, de ses émotions, de ses ressentis… Chaque grain est unique. C’est tout un univers à découvrir, à accompagner, pour qu’il puisse s’épanouir et savourer la vie. Je sens la nécessité d’avoir une place dans cet accompagnement et développement des enfants. De pouvoir leur permettre de voir les choses sous un autre point de vue, avec une autre approche, un autre langage pas forcément verbale. De pouvoir leur faire sentir des émotions et de développer leur regard critique par des propositions artistiques créées à partir de la recherche, la réflexion, l’observation et le dialogue avec eux . La force communicative que le corps et le mouvement ont, sans besoin de mots, ni d’une narration particulière, m’ont donné l’envie d’aller à la recherche et plus en profondeur du langage non verbale (regard, geste, mouvement, danse): la première façon de communiquer de l’enfant.
« Souvent le corps traduit clairement ce que la langue refuse d’énoncer. Ce n’est qu’en comprenant comment les matériaux du corps réagissent aux forces de la vie que nous pourrons mieux nous adapter à elles dans la pensée. Changer d’attitudes corporelles est une manière de changer d’attitudes mentales. Et inversement. S’engager dans de tels changements ouvre la voie à une plus grande liberté d’action et une meilleure protection du vivant. Vivant, le corps tout entier, porteur de son propre sens, raconte son histoire, debout, assis, marchant, éveillé ou endormi, toute la vie jaillissant dans le visage du philosophe ou se projetant dans les pieds du danseur. » Extrait du livre « Les corps pensant » de Mabel Elsworth Todd, éditions Contredanse.
L’envie de créer pour la petite enfance a pris du temps en moi pour qu’elle puisse se concrétiser par la création d’un spectacle. D’abord elle a commencé pendant mes ateliers danse et après la naissance de ma première fille en 2015. Une relation physique, à l’écoute de l’enfant, de ses besoins, de ses envies. Elle est devenue encore plus forte après la naissance de mes filles jumelles. Elles avaient quelques mois de vie, quand je me mettais par terre, je les prenais sur mon corps, en roulant, en glissant, en dansant avec elles, en communiquant par le mouvement et le regard. On continue à avoir ces moments de danse, de partage ensemble et je vois le bonheur et le plaisir que ça nous amène. À l’âge de trois ans, mes filles s’expriment facilement avec le corps, pas seulement quand elles dansent mais aussi dans la quotidienneté. Je vois en elles une liberté d’être, de communiquer, de socialiser. Ça renforce en moi l’envie d’une proposition artistique adressée aux tout petits, pour que tout le monde puisse avoir ce genre de partage avec ses parents et être à l’écoute de son corps. L’artistique, qui passe par la danse, par le théâtre ou par d’ autres arts, doit faire partie de notre vie à tous âges. Ça nous permet de s’évader, de grandir, de voir le monde par d’ autres yeux, de nous faire réfléchir, de nous remettre en question, de se construire. Pour un tout petit tout est nouveau. Il fluctue avec son présent, avec tout ce qui lui arrive. Il absorbe et se laisse transporter pour bien s’affirmer après. Ce que l’artiste et son univers amènent à l’enfant sont comme des vagues qui l’importent. Après leur passage, il n’est plus comme avant.
AURORE BRUN:
Ancienne styliste, je me suis éloignée du milieu de la mode pour me rapprocher de la matière.
Je suis devenue designer maille, et j’ai toujours animé des ateliers pour enfants. Pendant ces moments de partage avec les enfants, j’ai pu observer, être à l’écoute et développer des matières textiles d’éveil pour enfants de 0 à 6 ans inspirés par la pédagogie de Maria Montessori et les travaux plus récents de Céline Alvarez.
Ma première création textile, en forme d’installation, adressée aux enfants de basse âge (0-24 mois) était « La Marelle » (2018), un tapis sensorielle entièrement crocheté pour les tout petits. Cette installation et la collaboration avec Erika Faccini pendant les ateliers à l’école CETD en 2018 ont fait grandir en moi l’envie et la nécessité de me rapprocher à l’âge des tout petits plus dans une démarche artistique que pédagogique. Mes créations textiles peuvent aller plus loin dans la proposition vers les tout petits. Elles peuvent rentrer dans une dramaturgie du mouvement, de la scène et créer des univers immersifs. Grace à la danse, l’immersion sonore et la lumière, ils peuvent vivre et faire voyager le spectateur dans un monde onirique. Je veux me servir de mon art pour pouvoir toucher les émotions, creuser au fond des sensations et de soi-même, créer des moments d’intimité et tisser les liens entre adultes accompagnants (parents, grand parents, puéricultrices…) et les tout petits.
La co-création de Aurore Brun et Erika Faccini du spectacle BABYSSES (spectacle de danse immersif et sensoriel pour les tout petits 4-18 mois) est née d’une collaboration dans un atelier danse dans l’école spécialisée CETD de Bruxelles en 2018. Ça nous a permis d’aller plus loin en proposant une œuvre collective, un spectacle de danse avec un décor immersif et sensoriel pour les tout petits en fusionnant nos savoirs-faire et nos parcours professionnels.
Nous voulions offrir un spectacle de qualité, et un moment suspendu pour les tout-petits mais aussi pour leur parent, pour un moment de partage, pour tisser les liens et leur permettre de plonger dans cet univers où les corps se déposent pour laisser la place aux sensations, aux émotions, à la découverte.
Nous estimons que le tout petit est un spectateur exigeant, le public de demain, et nous pensons qu’il n’est jamais trop tôt pour être en lien avec l’art, mais au contraire, il y a des fortes connexions entre l’artistique et la petite enfance. Créer BABYSSES a été pour nous l’occasion de se pencher encore plus profondément sur la manière dont l’enfant, si petit, perçoit les choses, ressent, absorbe. La bande son créée par Brice Cannavo participe beaucoup à l’immersion et à la qualité du spectacle.