Qui veut de moi?
C’est un môme né en Palestine, sorti de prison, sujet à l’agoraphobie, il s’enferme dans une chambre, ferme fenêtres et portes. Au milieu de la pièce, il construit une cage (une sorte de maison miniature avec des barreaux) et dans cette cage, il y a un amoncellement de poupées. Il joue avec ces poupées, se déguise en militaire, en infirmier, en journaliste radio,… Il dispose d’outils de chirurgien, scalpels, petite guillotine et une scie dont il use pour torturer les poupées…
C’est un môme né en Haïti, un restavek, pour qui le tremblement de terre est une aubaine : il s’enfuit de la maison où il était domestique. Il est en cavale, à la recherche d’une famille qui voudra l’aimer.
« J’en ai profité. J’ai profité de cette chose étrange. Un grondement de la terre. Un grondement grave, et boum les maisons qui tombent ras le sol. Leurs étages pliés comme ça! Je suis parti. J’ai laissé tout ça derrière moi. J’ai pris la route et je suis parti. »
« J’ai mon projet de toute façon. De tous les côtés de la ville, je vais traîner, jusqu’à trouver une famille qui veut de moi (…) »
« J’ai à peine dix ans. Dix ans, je me sens grand, je me sens petit. (…) Il y a tellement de choses qui me dépassent dans ce monde que je vois devant moi. Tellement de choses. Je me sens si petit. Des parents, il me faut des gens à qui raconter ça. Que je me sens tout petit, à mon âge. Des gens pour s’occuper de moi. Me baigner dans une grande bassine, avec un bon bain chaud, avec des pelures d’orange, comme faisait maman. Me poudrer après les aisselles, tous les coins de mon corps, me dire un conte et m’endormir. »
C’est un môme né en Belgique, assis dans un caddy de grande surface. Il doit aller chercher son petit frère à l’école. Il vient de voler un parfum pour l’offrir à Mélanie. Mais Mélanie et lui, ils ne sont pas du même club. Elle, elle est du club des 250 (euros) alors que lui, il n’est pas dans le manège. Et il raconte… Il se raconte à un cameraman imaginaire…
« Deux cent cinquante moins quatre vingt-cinq, reste 115 euros à trouver. Sweat capuche La Redoute : 14,95 euros. Reste 100,05 euros. Et alors? On ne traverse pas l’Océan en deux coups de rames, cher ami. Le 250, c’est comme les States, tu vois, ça se mérite. »
« J’suis pas parano, M’sieur. J’suis quoi? Qui? J’SUIS QUI? J’suis un petit con de voleur à la manque, qui panique comme une Barbie parce que deux prépensionnés soupçonneux me poursuivent. Je suis une fiction qui ne colle pas à l’écran. Pas pro, je passe, JOKER! Je suis né pendant les soldes. Liquidation des stocks. C’est une très mauvaise étoile. J’ai un demi-frère et une mère entière. J’aurais préféré le contraire. »
« On ne se résigne pas à ton âge, Goran. Revenons un moment à ton rêve… Ah oui, bien sûr, j’aurais dû prévoir. J’avais prononcé le mot magique qui ne risque pas de passer inaperçu. Un de ces mots qui attirent, qui réveillent les curieux endormis. Moi, je préfère laisser les douleurs au placard que de les étaler pour le plaisir. (…) Je veux rejoindre mon grand-père à Ciudad Bolivar. Au Vénézuela. Il est gemmologue, chercheur de pierres précieuses. Ça te plaît (…)? Je rêve que je ne suis pas né. Tu pourras toujours raconter ça aux journalistes quand ton film sortira. Le personnage rêvait qu’il n’était pas né. »